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Tlön, Christine Davis

 

Christine Davis, Tlön

Christine Davis, Tlön, 2003, installation, Musée des beaux-arts de Montréal. Vue de l'installation. Photo © 2003, MBAM.

 

Tlön, ou comment j'eus entre les mains un vaste fragment méthodique de l'histoire totale d'une planète inconnue, est une installation de l'artiste canadienne Christine Davis.

 

En 2008, Richard Gagnier et Émilie Boudrias du comité des études de cas en restauration/conservation de DOCAM ont mené une entrevue avec l’artiste au sujet de cette œuvre. L’œuvre présente un problème d’obsolescence du projecteur qui sert à la mise en vue et qui, par ailleurs, participe fortement à l’intégrité de l’œuvre. De plus, il pose la question de la préservation du support diapositives 35 mm.

 

Christine Davis, Tlön

Christine Davis, Tlön

Christine Davis, Tlön, 2003, installation (détail), Musée des beaux-arts de Montréal. Diapositive d'étoiles et de nuages interstellaires © 2003, MBAM.
Christine Davis, Tlön, 2003, installation, Musée des beaux-arts de Montréal. Écran formé de papillons Morpho. Photo © 2003, MBAM.

 

L’œuvre, réalisée en 2003 et acquise par le Musée des beaux-arts de Montréal la même année, recrée visuellement le monde de science-fiction imaginé par l'auteur Jorge Luis Borges. Dans sa nouvelle Tlön, Uqbar, Orbis, Tertius, il décrit une société secrète qui s'emploie à régler dans les moindres détails la vie sur la planète Tlön. Son récit est une mise en garde contre un monde qui accorde trop d'importance à l'ordre et aux règles, étouffant ainsi d'autres formes légitimes d'expérience et de connaissance.

Dans cette installation de Davis, des projections de diapositives d'étoiles et de nuages interstellaires se superposent à une grille formée de papillons Morpho d'un bleu irisé formant un écran suspendu. La lumière et les couleurs bougent et se transforment. Il en résulte une vision à la fois hypnotique et hallucinatoire, une méditation sur l'attrait et l'illusion d'un univers bien organisé.

 

Selon l’artiste, le fait de privilégier les diapositives à la vidéo est dû à leur capacité d'offrir un certain réalisme que la projection vidéo n’offre pas. « C'est comme si la lumière physique touchait une surface à ce moment précis et essayait de répondre à toutes les conditions environnantes : le bruit du ventilateur, la poussière, l'ouverture et la fermeture de l’obturateur; si on projetait de la vidéo, c'est tout l'aspect temporel qui change [1] », selon Davis. La vidéo n'existe pas dans le temps et l'espace de la même manière, il s’agit de la relation entre le temps et le mouvement.

 

Premier problème : la préservation du projecteur à diapositives

Le type de projecteur à diapositives utilisé est le Ektapro de Kodak. La particularité de ce type de projecteur à diapositives est la possibilité de le connecter et de le contrôler avec précision à partir d’un ordinateur. Davis utilise un programme créé par la compagnie Stumpfl appelé Wings (utilisé présentement pour la lecture de DVD). La compagnie Kodak a cessé de fabriquer ce type de projecteur en 2004, peu de temps après la création de l’œuvre. L’artiste a affirmé son intérêt pour ce moment historique précis où les deux technologies (analogique et numérique) se chevauchent. Ainsi, plus tard, elle justifie pourquoi elle refuse l’utilisation d’un projecteur vidéo pour ce projet dans le cas d’impossibilité de réparation ou de remplacement du projecteur dans le futur.

 

L’artiste veut continuer à travailler avec la projection de diapositives et le programme Wings, car elle estime qu’il reste encore beaucoup d’effets de contenu à explorer. Une des particularités de ce programme est que l’on peut contrôler à tout moment de la projection la courbe lumineuse, une particularité que l’artiste n’a pas encore rencontrée dans son exploration des programmes numériques. Le programme fait incontestablement partie de l'intégrité de l'œuvre. Il s'agit d'un lien conceptuel qui existe avec la lumière et le temps. L’artiste n’exclut pas la possibilité de travailler dans le futur avec le format DVD, pourvu que le processus soit différent. Elle est en train d’évaluer les aspects inhérents à cette technologie qui recoupent ses intérêts.

 

Le principe usuel de la préservation à long terme est de se munir de plusieurs exemplaires d’un équipement donné, si sa condition se maintient en entreposage, en dehors de son utilisation. Ici, il y a conflit entre cette approche et le fait que l’industrie cesse la production de cet équipement.

 

Deuxième probléme : La conservation des diapositives

L'artiste a travaillé avec Colourgenics, un laboratoire de Toronto. Charles Chiu de Colourgenics lui a dit : « Vous savez qu’on va devoir commencer à se préparer pour la fin, parce que si ma machine se brise, je ne pourrai plus obtenir les pièces pour la réparer de manière à dupliquer les diapositives [2] ».

 

Une des méthodes de reproduction possibles est de numériser les diapositives afin d’obtenir un fichier numérique, puis le fichier obtenu est « flashé » sur un support film. Il est aussi possible d’utiliser des films copies positifs 35 mm et de couper manuellement chaque image pour en faire des supports à diapositive. Cette stratégie est possible tant qu’il y aura disponibilité commerciale des films copies positifs 35 mm. La disponibilité commerciale du film 35 mm semble assurée pour encore plusieurs années; on constate un engouement pour ce médium chez les cinéphiles et l’industrie du film.

 

Doug Laxdal de la compagnie The Gas Company a numérisé les diapositives en fichiers de haute définition. Ces fichiers sont des copies de préservation des diapositives sous-maîtresses (submaster) que le musée possède.


Les diapositives acquises par le musée sont de meilleure qualité que les diapositives originales appartenant à l'artiste bien qu'elles soient une copie de l'original. La compagnie avec laquelle l'artiste a travaillé a fait beaucoup de correction de couleur sur l'ensemble que le musée possède, mais elle a produit uniquement trois ensembles. L'artiste en a utilisé deux, en a donné un au musée comme copie sous-maîtresse et a gardé les diapositives originales.

 

Problèmes déontologiques

L’authenticité et l’intégrité

L’artiste estime que l'écran et les diapositives sont comme une machine et forment un système. Donc, enlever le composant projecteur ou essayer de le remplacer empêchera le système de fonctionner comme avant. Elle pense que l'idée de filmer l’œuvre et le processus de fonctionnement, de créer un documentaire vidéo de l’œuvre est une bonne solution de rechange. Cela permettra de montrer l’œuvre dans son intégralité avant qu’elle ne cesse de fonctionner. Mais il s’agira d’un document et non pas de l’œuvre.

 

Cette œuvre présente dans son projet conceptuel une forte résistance au maintien à tout prix de ses équipements originaux. La migration n’est pas une solution selon l’artiste. Davis estime que la mise à jour permanente n’est pas nécessaire; cela fait partie du travail du restaurateur dans un musée d’essayer de préserver l’œuvre dans l’état précis où elle a été créée dans le temps. Elle doit accepter comme artiste que l’œuvre ait été produite à ce moment particulier, cela fait partie de sa position d’artiste.

 

 


[1] Extrait d'une entrevue menée par Richard Gagnier et Émilie Boudrias, traduit de l'anglais (juillet 2008).

[2] Ibid.